Cette question, on l’a toutes et tous entendue mille fois, elle est incontournable, inévitable, tout le temps, partout. Elle fait partie, presque sans exception, de toute discussion engagée avec une personne que vous rencontrez pour la première fois. Si vous essayez de l’esquiver, elle reviendra quelques minutes plus tard. Presque jamais personne pour demander : qui es-tu ?, non, de nos jours le « faire » semble avoir définitivement pris le pas sur l’« être ».
Dans cette interrogation, il s’agit pour autrui de savoir ce qu’on fait "dans la vie", ce qui renvoie dès lors à ce socle de la définition identitaire de l’individu, indéboulonnable dans cette société : le travail salarié. Si vous n’avez pas de contrat de travail et adoptez le point de vue du statut administratif en répondant que vous êtes chômeur, l’inconscient de votre interlocuteur lui imposera souvent l’image d’un être déprimé, immobile et angoissé par sa situation. C’est alors qu’il faut souvent expliciter l’épanouissement possible sans employeur, la possibilité de s’employer soi-même, de vivre cette situation positivement, de rencontrer des gens, d’apprendre et de vivre, de participer à différents projets.
Oui, mais... Qu’est-ce que tu fais ?
Le travail accompli en dehors d’un contrat de travail porte généralement le nom de bénévolat, mot auquel nous préférerons plutôt l’expression de travail consenti. Car le bénévolat est généralement défini en fonction de son rapport à l’argent, en tant que travail non rémunéré, ce qui est le cas mais les dictionnaires nous renseignent également les notions de travail fait sans obligation, sans y être tenu. Les motivations principales sont donc liées à l’envie et au plaisir.
Dans les faits, dès lors que les besoins primaires d’existence sont assurés, la situation de chômage libère du temps qui pourra être utilisé à faire exister des projets qui sont peu, voire pas subventionnés. Dans ce contexte, la créativité peut dès lors s’exprimer. A Bruxelles, une salle de cinéma activée par une équipe de volontaires est un exemple parmi d’autres de ce secteur d’activité dont les moteurs principaux, même si des contraintes apparaissent inévitablement dans son fonctionnement quotidien, sont avant tout la passion et le désir de pouvoir montrer un autre type de films, d’organiser des rencontres, des débats, bref, de s’exprimer.
Un virus mental inoculé dans l’opinion
Ces dernières semaines, un néologisme libéral rôde : le profitariat social.
Voici une petite tranche de vie observée à Bruxelles. La scène se passe dans un petit bistrot en face des bureaux d’une administration gérant les finances publiques. Plusieurs personnes jouent aux cartes autour d’une table. Quelqu’un arrive en hurlant : "contrôle, contrôle !" Les joueurs se lèvent précipitamment pour revenir une demi-heure plus tard : "ouf, on l’a échappé belle !"
Récemment donc, un ex-ministre libéral, Rik Daems, déclarait en posant fièrement devant sa villa, qu’il allait falloir s’attaquer au profitariat social ! Par cette expression, cet individu ne désigne pas les joueurs précités, il ne désigne pas un administrateur d’organisme public recevant des indemnités de licenciement se chiffrant en dizaines de millions de francs belges, il ne désigne pas non plus un ministre gaspillant l’argent public par la gestion calamiteuse de ses dossiers, non, il désigne celles et ceux qui tentent de se débrouiller avec quelques centaines d’euros par mois sans tomber dans la déprime et l’inaction.
A l’heure où une amnistie est votée pour les fraudeurs au fisc, cette déclaration représentait le premier coup d’une attaque annoncée contre les personnes recevant des allocations de chômage dans ce pays. Cent-vingt contrôleurs supplémentaires sont prévus pour vérifier la disponibilité à l’emploi et des économies entraînées par ces nouvelles mesures sont déjà budgétées à hauteur de 46 millions d’euros. Il ne s’agit dès lors plus pour ces cent-vingt personnes de contrôler mais bien de supprimer les droits aux allocations afin d’atteindre cette somme.
Le virus est dans les têtes : en croisant le voisin et ses meubles sur le trottoir, certains penseront donc qu’il l’a cherché, que, décidément, il en profitait. Salut voisin.
Des allocations-salaires
Outre le fait que nous ne voyons pas très bien ce qui est prévu pour les personnes qui ne recevront plus d’allocations - le CPAS, la rue ?- ces mesures risquent également de mettre en péril une série de projets qui reposent sur le temps libre des non-salariés. Et dont l’essence, bien entendu, n’est pas commerciale. Les allocations de chômage sont parfois devenues, de fait, un mode de subventionnement pour un secteur informel qui n’arrive pas à se voir octroyer les fonds de fonctionnement élémentaires pour survivre.
Les emplois n’existant pas, ne pourrait-on revoir ce socle social et laisser travailler les gens là où ils ont trouvé à s’employer ?
Faut-il vraiment encore avoir comme but de mettre chacun, à tout prix, dans une case salariale, même si celle-ci est à moitié vide comme on peut souvent l’observer dans certains secteurs ?
Ne peut-on accorder l’intérêt qu’il mérite à quelqu’un qui n’est pas salarié et permet à des projets culturels d’exister ? Et qui travaille parfois douze heures par jour pour qu’un programme soit bouclé à temps ?
Va-t-on observer cette évolution sans réagir ?
Voici une série de questions auxquelles il va prochainement falloir répondre.
Gérald