*La Hongrie a fait partie pendant quarante ans du bloc communiste. On avait coutume de l’appeler "la baraque la plus gaie" des pays de l’Est, car on y vivait mieux que chez les voisins frères socialistes. Certains diront que c’est l’arbre qui cachait la forêt, maintenant que les stigmates de quarante ans de dictature apparaissent au grand jour. Un arbre cependant bien tortueux, dont les ramifications se sont étendues sur des kilomètres de pellicule, un arbre qui a autorisé un grand nombre de films à voir le jour, engagés, souvent de manière détournée, et dénonçant le régime. Cela n’a pas empêché la terreur silencieuse, propre au sentiment de culpabilité instauré par le pouvoir, par la pratique de la délation, de l’intimidation, de s’immiscer dans l’esprit des citoyens, y compris les cinéastes. Mais le paradoxe, l’ambiguïté, engendre souvent un complexe riche en aspérité, un relief qui permet une lecture transversale de la réalité, comme une coupe dans la matière du présent passée au microscope.
Revenons à cet arbre et à ses origines. Il a germé, d’abord dans le caractère des Magyars, improbable îlot de peuplades finno-ougriennes, au milieu de pays slaves. Le soulèvement populaire d’octobre 1956 a été son terreau. De là naquit la duplicité car le dirigeant, János Kádár, pour prendre le pouvoir, a trahi ses frères de lutte et mis à mort celui qui aurait dû être à sa place selon les voeux du peuple. En Hongrie, aucun média, aucun intellectuel, historien, politicien... n’a su le dire pendant 40 ans... et ainsi János Kádár, du tréfonds de sa culpabilité, a créé le "communisme goulasch" à l’aigre-doux.
L’histoire du cinéma hongrois des années 60 aux années 80, ne peut pas se raconter sans effleurer ce contexte. Nous avons choisi, pour ce deuxième module Hungaro, et toujours en complicité avec l’Institut culturel hongrois de Bruxelles, quelques films qui touchent de près ou de loin cette histoire. Des documentaires produits par le Béla Balázs Studio (voir notre programme #101 qui présente cette coopérative de cinéastes), des fictions avec le premier film de Béla Tarr et deux oeuvres inédites en Belgique du grand Miklós Jancsó, ainsi que de véritables et surprenants films de formation de la police secrète... De quoi se mettre en appétit pour qui veut voir ce que le rideau de fer nous a caché.*