Matana Roberts
Saxophoniste, élevée et formée à Chicago, membre de l’AACM, elle bénéficie du parrainage de ces illustres artistes/musiciens que sont Roscoe Mitchell (Art Ensemble of Chicago), Amina Claudine Myers ou George Lewis.
Vue ensuite à Montréal aux côtés de Godspeed You Black Emperor et Thee Silver Mount Zion, elle signe chez Constellation pour finalement s’installer à New York
. En 2006 commence l’aventure Coin Coin, dont six chapitres sont présentés en live en Amérique du Nord, ce qui lui permet de les affiner avant de les enregistrer. Le premier épisode sort sur Constellation en 2011, le troisième et dernier en 2015.
Le Nova est la première salle à l’accueillir à Bruxelles !
Marie Thérèse Metoyer dite Coin Coin
Marie Thérèse (1742-1816), esclave et mère de cinq enfants, fut achetée par Claude Thomas Pierre Métoyer, qui l’épousa dans le cadre du système de "plaçage" en Louisiane. Avant de se remarier, il l’affranchit et lui transmet un domaine. Devenue libre et riche, grâce à ses connaissance en pharmacologie elle pratique la médecine. Elle devient planteuse de tabac dans son domaine, et engage des esclaves pour le travail. Elle pratique également le métier de trappeuse. Libre plus de 70 ans avant la fin de l’esclavage, Coin Coin est une figure importante de cette partie de l’histoire de l’Amérique, au même titre qu’Harriet Tubman.
Coin Coin
Matana Roberts propose, avec "Coin Coin", un feuilleton musical prévu en 12 épisodes. Il évoque, à travers la figure de Marie Thérèse Metoyer, l’héritage de la lutte contre l’esclavage, celle pour les droits civiques et le combat des femmes aux États-Unis avant la Guerre de sécession et au cours du XXe siècle.
Coin Coin est aussi le surnom donné à Matana par sa grand mère paternelle.
L’identité, tant collective que personnelle, y est interrogée. Le titre évoque également le coin, celui d’où l’on vient.
Matana parle aussi de "lore", comme connaissance, le lore du folklore par exemple, ce que le peuple sait, ce que son peuple sait.
"
Coin Coin" comme le son du sax alto.
Une œuvre hantée où les spectres, parfois familiers, parfois effrayants, servent de guides à travers le temps et l’espace (géographique, culturel, politique, social...).
Son écriture en "Quilt" à partir de portées, photos, poèmes, dessins, symboles, crée des partitions expressives et uniques, en partie intégrées dans les livrets des disques. Plus qu’une simple coquetterie de compositeur, cette écriture physique est réellement exprimée dans les compositions-collages où différents styles, pratiques, forment un tout. Comme les vêtements usés que sa famille recomposait en patchwork, créant alors du nouveau.
Et si le jazz (acoustique) et nombre de ses variantes historiques se retrouvent dans cette œuvre fleuve, nous sommes ici invité à une réelle proposition nouvelle. L’œuvre de Matana Roberts, comme pour l’Opus Magnum de Wagner, s’apprécie autrement et plus en profondeur lorsqu’on se penche avec précision sur ces principes de composition.
Le premier opus, "Gens de couleurs libres" (2011), utilise un large ensemble de musiciens, avec au centre la voix et l’alto de Matana. Alternant les morceaux avec petit et grand ensembles, Matana introduit le(s) personnage(s), nous invite à une dérangeante vente d’esclaves en chanson, exprime l’horreur, ou la joie, de vivre et nous laisse entrevoir la qualité et l’ampleur de son épopée.
Le second épisode, "Mississippi Moonchile" (2013), plus apaisé, est écrit pour quintet. Elle y intègre une voix masculine de Bel Canto, invitant la tradition de l’Opéra dans son travail, brouillant la frontière entre art populaire et culture élitiste. Il s’agit ici d’un seul morceau découpé en 15 parties, où Matana nous emmène sur les rives du Mississippi, sur les terres de Coin Coin, l’enfant de la lune.
Pour le chapitre 3, "River Run Thee" (2015), Matana est en solo, aidée de loopers et d’effets électroniques. Le saxophone devient générateur de nappes, et d’autant de bourdons aux structures complexes, où percent des sons provenant de Field recordings effectués pendant un séjour de recherche dans le sud du pays. La voix est ici l’instrument principal, mêlant la narration à un voyage sonique composé de strates intrigantes. Un seul long morceau envoûtant, pour l’épisode le plus intimiste, tendu, et éloigné du jazz. La descente du fleuve continue.